2011-03-20

Stratagème n° 35 : le stratagème des chaînes

Si la supériorité numérique de l’adversaire rend le combat inégal, il faut l’amener à se ligoter lui-même pour le réduire à l’impuissance.
Le Yijing dit : le ciel comble de faveurs le stratège.

Le stratagème des chaînes consiste à faire en sorte que l’ennemi se charge d’entraves pour ensuite l’attaquer. Un stratagème pour le ligoter, un stratagème pour frapper, cet enchaînement de deux stratagèmes vient à bout des plus puissantes armées.
Bi Zaiyu, général de la dynastie des Song, avait coutume de provoquer l’ennemi au combat, de se dérober puis de repartir de l’avant et ce à plusieurs reprises jusqu’à ce que, le soir tombant, il fasse répandre sur le champ de bataille de la soupe aux pois épicée. Cette opération exécutée, il repartait engager le combat pour rompre aussitôt et faire mine de fuir. L’adversaire, voulant tirer parti de son avantage, se lançait à sa poursuite mais ses chevaux affamés, ayant humé l’odeur appétissante de la soupe, s’arrêtaient net dans leur course pour s’en repaître, sans prêter la moindre attention aux coups de cravache. C’est alors que Bi Zaiyu choisissait de lancer la contre-offensive et remportait la victoire.
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Alors que Zhou Yu venait de mettre au point avec Huang Gai sa version du stratagème des chairs endolories, il reçut la visite d’un stratège de renom qui venait dans son camp pour lui proposer son assistance. L’homme avait pour nom Pang Tong. Il était spécialiste des questions militaires, habitait la région mais n’avait pas, jusqu’alors, pris part aux opérations. Il venait se joindre au camp de Wu pour participer à la difficile opération qui était sur le point d’être exécutée. Après avoir échangé les politesses d’usage, Pang Tong dit à Zhou Yu : une attaque par le feu paraît effectivement le meilleur moyen de venir à bout de l’armée de Cao Cao. Mais le cours du fleuve est large, et si vous réussissez à incendier un navire, les autres auront beaucoup de place pour manœuvrer et s’écarter. Je propose donc de recourir au « stratagèmes des chaînes ».
Sur ces mots, Pang Tong prit congé et, par un moyen détourné, se fit inviter dans le camp de Cao Cao. Celui-ci le reçut avec empressement, ayant entendu parler des qualités peu communes de son hôte dans le domaine des stratégies. Après lui avoir fait visiter son camp, Cao Cao interrogea Pang Tong en le priant de ne lui ménager ni ses critiques, ni ses suggestions. Votre camp naval est fort bien organisé, dit Pang Tong, mais l’état de santé de vos troupes me paraît inquiétant. Il y a beaucoup de malades parmi vos soldats. Cao Cao dut convenir que ses hommes, tous enfants des plaines du Nord, supportaient for mal le climat humide du Sud. Nombreux étaient ceux qui avaient contracté des fièvres pendant l’expédition. Cao Cao en était fort inquiet, craignant de voir une épidémie ravager son armée. Je crois que je connais un remède efficace, fit Pang Tong. Vos hommes ne sont pas habitués au tangage et au roulis qui secouent leurs embarcations. C’est cela qui les rend malades. Il faudrait stabiliser votre flotte. Classez vos embarcations par groupes de taille et reliez-les ensuite les unes aux autres à l’aide de chaînes solides par files de trente ou de cinquante. Puis, faites-les recouvrir de longs planchers de bois qui permettront aux hommes et même aux chevaux de s’y tenir à l’aise. Un dispositif de la sorte réduit les mouvements des bateaux et augmente leur stabilité.
Je vous suis infiniment reconnaissant de ce conseil, dit Cao Cao. Je vais immédiatement équiper ma flotte selon vos recommandations. Cao Cao donna ordres aux ateliers de son camp de fabriquer une grande quantité de chaînes de fer aux anneaux solides afin de préparer le dispositif. Quand tout fut prêt quelques jours plus tard, on vint prévenir Cao Cao : tous les bateaux sont enchaînés. La flotte attend que vous donniez le signal de l’attaque. Cao Cao lança alors son immense flotte contre le camp de Wu en direction du lieu dit la Falaise rouge, au confluent du Yangzi et de la Han. Soudain, alors qu’il se tenait à la proue du vaisseau amiral, il vit au loin des voiles de navires arborant une bannière verte. La chance est avec moi, s’écria Cao Cao. Huang Gai et sa flotte viennent me rejoindre ! Poussés par un vent favorable, les équipages de Huang Gai fendaient les flots à grande vitesse. Arrivé à deux lis de l’armée de Cao Cao, Huang Gai leva son sabre et une flottille de brûlots partit s’écraser contre les embarcations de l’ennemi. Le feu se propagea rapidement et, les bateaux enchaînés ne pouvant se dégager, un immense incendie couvrit toute la surface des eaux. Pendant que les armées de Wu et de Liu Bei se ruaient à la curée, Cao Cao comprit qu’il devait abandonner tout espoir. Désespéré par cet échec, il prit la fuite au grand galop en compagnie d’une petite troupe pour regagner le Nord.
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Toutes les manœuvres de déstabilisation qui accentuent les contradictions internes du camp ennemi attisent ses dissensions, affaiblissent son gouvernement, suscitent le désordre dans sa population et le rendent incapable de résister à une attaque extérieure relèvent de ce stratagème.
Le roi de Wei avait offert une belle au roi de Chu. Celui-ci s’était aussitôt épris de la jeune personne au point que son épouse principale s’en inquiéta. Elle décida de perdre sa rivale. Elle commença donc à la couvrir d’attentions, lui fournissant les plus beaux vêtements, la faisant dormir dans la meilleure chambre du gynécée, la comblant enfin de tant de faveurs que le roi en fut fort satisfait : mon épouse sait que je prise fort ma nouvelle concubine. Elle la chérit autant que moi. C’est ainsi qu’un sujet fidèle doit servir son prince. Je me réjouis de cette attitude. Sur ces entrefaits, l’épouse dit à la jeune fille : le roi vous trouve charmante… mais il n’aime pas votre nez. Vous feriez mieux de le cacher en sa présence. A leur entrevue suivante, la jeune fille eut donc grand soin de dissimuler son nez. Le roi s’en étonna et demanda à son épouse la raison de cette étrange contenance. Je crois que je la connais, répondit l’épouse. Dites-la-moi donc, même si elle est à même de me déplaire. L’épouse poursuivit : et bien, la nouvelle semble mal supporter l’odeur que répand Votre Majesté. Le roi entra en rage. Qu’on lui coupe donc le nez ! s’écria-t-il. Ce qui fut fait aussitôt.

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